Whisky à gogo

 

Il est décidément des histoires dont il serait tentant de faire un roman.

 

Quoi de plus « romantique », en effet (exception faite du climat) qu’une petit île perdue dans l’Arctique, entre l'île d'Ellesmere et le Groenland ? Un gros morceau de rocher, désertique et tranquille… jusqu’à ce que la géopolitique s’en mêle.

 

C’est l’histoire de l’île de Hans que nous raconte le magazine Géo cette semaine. Elle concerne le Canada et le Danemark qui, depuis tout de même 1973, se disputent ledit rocher dont l’appartenance leur est garantie à tous deux par le droit international. Cela ne posait guère de problèmes jusqu’à ce que, en 1984, des Canadiens aillent y planter leur drapeau national, au pied duquel ils enterrent une bouteille de whisky… canadien ! Vexés, les Danois ont tôt fait de remplacer drapeau et whisky par leurs équivalents danois.

Et voilà l’affaire lancée ! Celle-ci, heureusement, prend davantage l’allure d’une joute bon enfant que d’une véritable guerre diplomatique. Même si, pendant un demi-siècle, Canadiens et Danois ont continué d’enterrer et déterrer du whisky sur l’île de Hans et d’y déchirer des drapeaux nationaux !

Il faut attendre 2018 pour qu’une réflexion commune soit lancée sur le sujet afin d’y mettre un terme. L’idée retenue, in fine, est que l’île sera divisée en deux !

 

Ce que toutefois l’article de Géo ne révèle pas, c’est ce que sont devenus tous ces flacons de (bon ?) whisky ? Si l’on fait le calcul, cela représente tout de même une centaine de bouteilles !

De là à imaginer un astucieux trafic de contrebande, il n’y aurait qu’un pas.

Gageons plutôt que le verre de l’amitié sera « généreux » lorsque l’accord entre les deux pays sera scellé.  

Publié le 29/06/2022
« Lettre Imaginaire » n°10 : ne pas oublier Nellie Bly

Pardon pour ce léger retard à publier une nouvelle Lettre imaginaire. Mais la voici tout de même, et d'autres suivront au fil des mois à venir.

 

 

Je ne poursuis pas mon chemin, c’est mon chemin qui me poursuit.

J. Verne

 

L'énergie bien appliquée et dirigée permet de tout accomplir.

N. Bly

 

 

Cher Monsieur Jules Verne,

 

Je m’appelle Emily et je vous écris pour mon frère, Tom. C’est l’un de vos plus fervents admirateurs. Il connaît tous vos livres par cœur.

Le soir, lorsque l’on va se coucher, il me demande toujours de lui lire un passage d’un de vos romans. Il le choisit au hasard, et son jeu favori c’est de réciter à haute voix la fin du chapitre, sans que j’aie besoin de lui souffler. Il ne se trompe presque jamais. Et quand ça arrive, je sais que c’est à cause de sa maladie.

Tom est très souffrant. C’est pour cela qu’il reste à la maison. Une maladie au nom compliqué : L e u c o d y s t r o p h i e. Maman m’a dit que c’est une maladie rare et « orpheline ». Je n’ai pas très bien compris pourquoi, vu que Papa et Maman sont bien vivants.

Tom est souvent fatigué. Il n’entend pas bien et sa vue n’est pas bonne non plus. C’est pour cela qu’il aime que je lui fasse la lecture.

Jusque récemment, il n’avait que quelques-uns de vos livres, dont ses trois préférés : Le tour du monde en 80 jours, L’île mystérieuse et 20 000 lieues sous les mers. Du coup, il nous parle constamment de Phileas Fogg, de Cyrus Smith et du Capitaine Nemo. Ce sont ses trois héros. Il y a deux ans, la veille de l'anniversaire de Tom, Papa a apporté deux grands cartons à la maison. Dedans, il y avait toute la collection de vos ouvrages. Même Tom ne savait pas que vous en aviez écrit autant. Il a fallu que Papa lui construise une étagère supplémentaire, au-dessus de son lit. Vos livres sont tous alignés là.

 

Je crois que ce que mon frère apprécie le plus avec vos récits, c’est qu’ils l’emmènent partout sur la planète, et jusque dans l’espace ou sous les océans. Il aurait « 20 000 » questions à vous poser, et voudrait savoir si vous avez beaucoup voyagé. Quel bonheur ce serait pour lui de vous rencontrer, même juste une heure !

J’aimerais bien aussi. Il faut dire qu’à cause de Tom, j’en connais un rayon sur vos aventures. Mais, pour être sincère avec vous, et si je dois imaginer que vous veniez un jour chez nous, ou nous chez vous, il y a quelqu’un d’autre avec qui j’aimerais énormément parler. Vous la connaissez, vous avez même écrit un message à son intention, dans les journaux, après ses exploits :

 

« Jamais douté du succès de Nellie Bly,

son intrépidité le laissait prévoir.

Hourra ! Pour elle et pour le directeur du World !

Hourra ! Hourra ! »

 

Autour de moi, et même à l’école, tout le monde vous connaît, mais personne ne connaît Nellie. C’est grâce à un article dans une revue que j’ai appris qui elle était et ce qu’elle avait fait. Et aussi que vous vous étiez rencontrés, chez vous, à Amiens. Il faut dire que je passe mon temps à collectionner toutes les informations et les images qui vous concernent, pour Tom.

Je trouve que c’est injuste qu’on l’ait oubliée si vite, sauf peut-être en Amérique. J’espère que cela ne vous vexera pas, mais elle a quand même fait aussi bien, et même mieux que Phileas Fogg : le tour du monde toute seule, en exactement 72 jours, 6 heures, 11 minutes et 14 secondes ! Battant tous les records connus, y compris celui de M. Fogg. Et puis, surtout, M. Fogg n’a jamais existé, enfin je crois. Alors que Nellie, elle, est une vraie personne.

J’ai tant d’admiration pour elle. Elle est mon héroïne. J’ai l’impression que Tom l’aime bien aussi. Au moins, il ne lui en veut pas d’avoir battu « son » Phileas.

Elle a eu le courage d’entreprendre ce voyage (40 070 km), en partant de chez elle, en Amérique. Southampton, Calais, Amiens (pour vous rencontrer), Brindisi, Suez, Aden, Colombo, Singapour, Hong-kong, Yokohama, San Francisco, New-York… tant d’endroits incroyables, qui nous font rêver, Tom et moi, et dont je ne sais même pas si j’en visiterai un seul dans ma vie !

En plus de cela, c’était une femme engagée, une reporter incroyable qui, d’après l’article que j’ai lu, était un « as de l’immersion ». Elle se déguisait et changeait de nom pour espionner dans des usines ou dans des asiles, afin de dénoncer la façon dont on y traitait les gens, et en particulier les femmes. Il paraît qu’elle a même joué le rôle d’une dresseuse d’éléphants !

Il y a plusieurs photos d’elle avec l’article que j’ai découpé. Elle est tellement belle ! Des livres racontant ses aventures sont parus en Amérique. Bien sûr, ils sont écrits en anglais. Cette semaine, j’ai demandé à ma professeure de documentation si elle savait s’il existe des livres sur Nellie en français. Elle ne connaissait même pas son nom ! Bon, on ne peut pas tout savoir non plus. Comme c’est son métier, elle m’a promis de faire des recherches pour moi.

 

Plus tard, mon métier à moi, ce sera Reporter d’investigation ! Tom, lui, jure que s’il guérit, il sera Savant-aventurier, comme vos héros.

En attendant, je suis sûre que vous êtes quelqu’un de très gentil. Alors, de la part de mon frère et de moi, je me permets de vous embrasser.

 

Emily

 

Publié le 26/06/2022
« Lettre Imaginaire » n°9 au service Courrier des lecteurs du « Vingtième siècle »

C’est inouï !...  C’est prodigieux !.. C’est incroyable !...

Dire que dans quelques minutes,

ou bien nous marcherons sur le sol de la Lune,

ou bien nous serons tous morts.

C’est merveilleux !

(Hergé)

 

Monsieur Tintin (et Milou),

 

Je ne connais pas l’adresse à laquelle vous contacter, ni celle de la famille de Monsieur Hergé. Quant au château de Moulinsart, du Capitaine Haddock, il semble qu’il soit devenu la « Société Moulinsart ». J’ai également découvert vos aventures dans le journal Le Vingtième Siècle. C’est donc à ces deux adresses que je vous écris.

De toute façon, mon espoir est de vous rencontrer, alors que vous êtes un personnage de bande dessinée. Je sais que cela peut paraître idiot. Seulement, c’est l’idée de Paul, un camarade de classe qui croit encore au Père Noël. J’ai bien essayé de l’en dissuader, mais il ne veut pas me croire, moi, qui existe pourtant bien. Enfin… il me semble. (Parfois, j’ai un peu du mal à savoir où commence et où finit la réalité. Et puis, il y a tellement de choses que personne ne sait expliquer.)

Alors voilà, si Paul avait raison, je serais bien bête de ne pas essayer. C’est pour cela que j’ai accepté d’écrire « à la personne que je souhaiterais le plus voir pour de vrai passer un peu de temps avec moi » (c’est le projet de mon copain Paul). Et pour moi, cette personne, c’est vous !

J’ai bien sûr lu toutes vos aventures, du premier au dernier album. Mon préféré est « Le lotus bleu ». Peut-être parce que je suis d’origine chinoise. Même mes parents, qui ne lisent pas de bande dessinée, mais qui eux sont nés en Chine, m’ont dit qu’ils avaient aimé le lire. Ils ont admiré la calligraphie de M. Hergé, et ils disent qu’il connaît bien l’histoire de leur pays.

 

Mais j’aime aussi « Le secret de la Licorne ». Chaque fois que j’en lis un passage avant de me coucher, je suis sûr de faire un rêve agréable ou rigolo. L’avantage aussi, c’est qu’il y a une suite : « Le trésor de Rackham le Rouge ». Du coup, cette histoire-là dure plus longtemps.

Alors voilà, je ne pense pas que je pourrai un jour vous parler, mais si c’était le cas, j’aurais plein de questions à vous poser.

- Quel âge avez-vous ? Je serais incapable de le dire. Je ne sais même pas si vous êtes encore un enfant ou un adulte ? Pourtant, vous êtes reporter, donc vous travaillez. Mais vous ne ressemblez pas du tout aux autres adultes. D’ailleurs, tant mieux. En plus, vous ne vieillissez jamais. Ce doit être pratique. Je pense que c’est pour ça que vous avez beaucoup de temps pour tous vos voyages et vos aventures. Vous avez dû faire au moins dix fois le tour du monde !

- On dirait que vous ne voulez pas vous marier ? Est-ce à cause de vos enquêtes ? J’imagine qu’elles prennent tout votre temps, et que vous voulez rester libre d’aller où bon vous semble. Aussi, les rares fois où vous rencontrez des femmes, elles ne sont pas très jolies. Je pense par exemple à Mme Castafiore. Alors je me dis qu’en fait c’est M. Hergé qui n’aime pas trop avoir des filles dans ses histoires. J’ai un autre camarade, Tom, qui est fan des romans de Jules Verne (j’aime bien aussi, mais ils sont moins drôles). Du coup, lui et sa jeune sœur collectionnent tout sur Jules Verne et ses héros. Tom m’a montré un article dans lequel Jules Verne explique que s’il ne met jamais de personnages féminins dans ses livres, c’est parce qu’ils parleraient tout le temps et qu’alors les autres ne pourraient plus rien dire ! Peut-être que M. Hergé a pensé la même chose ?

- Dans vos histoires, il y a toujours des méchants, mais ils ne sont pas très nombreux. Les autres gens sont plutôt gentils et tranquilles. Aujourd’hui, on dirait qu’il y a surtout des méchants ! Plein de gens qui trichent, volent les autres, se battent… On ne voit plus que ça à la télé ou dans les journaux. Je me demande si vous sauriez quoi faire pour les arrêter et qu’ils aillent en prison, comme les bandits dans vos histoires.

- J’aime énormément Milou. Mes parents ne veulent pas que j’aie un chien. Ils disent qu’à Paris il ne serait pas heureux. Mais si un jour j’en ai un, je l’appellerai Milou. Ou Baixue. C’est son nom en chinois. Cela veut dire neige, à cause de ses poils blancs tout frisés. Où l’avez-vous trouvé ? Est-ce qu’il était abandonné ? Mais surtout, il est drôlement bien dressé. Le nombre de trucs incroyables qu’il arrive à faire ! Il est formidable. S’il vous plaît, faites-lui plein de caresses de ma part.

- Il y a aussi le Capitaine Haddock. Il est trop drôle ! Il ne fait que des bêtises, mais il est très courageux. En tout cas, je l’aime beaucoup. L’ennui, c’est qu’il boit plein de wouhisky. Avec toutes les bouteilles qu’il vide, il va forcément finir par tomber malade, et peut-être mourir. Il était encore vivant dans votre dernière aventure. Mais je ne peux m’empêcher de penser pour après… Ce serait bien qu’il puisse perdre cette habitude. Maman dit qu’il vaut mieux boire du thé, parce que c’est bon pour la santé. Peut-être devriez-vous en parler à votre ami le capitaine ?

 

J’ai encore plein de questions, mais je préfère les garder… au cas où. D’ailleurs, si vous acceptez mon invitation, elle vaut aussi pour Milou, le Capitaine Haddock et le professeur Tournesol.

Ce jour-là, d’après Paul, nous serons plusieurs camarades, et nos parents nous aideront à tout préparer pour bien vous recevoir.

Et puis, si Paul a tort et que vous ne pouvez pas venir, je ne vous en voudrai pas. Je continuerai de lire et relire vos albums, même quand j’aurai plus de soixante-dix-sept ans !

 

Franck

 

Eh oui, Jules Verne est aussi un de ces Êtres extraordinaires que nombre d’enfants auraient aimé rencontrer « pour de vrai ». Voyons ce que Tom, et surtout sa jeune sœur Emily, qui l’admirent tellement, en diront avec la prochaine "Lettre imaginaire" (dans 3 semaines).

Publié le 05/06/2022
« Lettre Imaginaire » n°8 : la réponse inattendue

Dès que tu as fait à Satan la concession de discuter avec lui,

tu peux être sûr qu'il te bat en dialectique et te convainc.

Lucian Blaga

 

Mon cher Thomas,

 

Je te félicite d’avoir, en fin de compte, eu le courage d’inscrire ton nom et ton adresse sur ton courrier. Il faut en effet beaucoup de bravoure, à moins d’être inconscient, pour ne pas me craindre. Cela d’ailleurs m’interroge : est-ce toi qui maîtrises la peur, ou ton ignorance qui t’en préserve ? J’espère que tu seras assez « malin » pour trouver la réponse.

Mais, vois-tu, en dépit de la mauvaise réputation à laquelle tu aimes faire allusion à mon sujet, j’ai décidé d’éclairer un peu ta lanterne. Entre incroyants, il faut bien s’entraider, n’est-ce pas ?

Je note que tu écarquilles les yeux en me lisant, et que tes mains tremblent anormalement. T’étonnerais-tu que ton message ait été porté à ma connaissance ? Tu ne t’attendais évidemment pas à cela. Comment la chose a-t-elle été rendue possible ? Voilà bien un mystère de plus que tu aimerais sans doute résoudre, mais ce serait en vain. Les mystères sont notre invention, à Dieu et à moi. Un vieux truc pour amener tes congénères à croire en nous. Je dois dire que, jusqu’ici, cela a plutôt bien marché. D’ailleurs, au départ, c’était principalement mon idée. Avec l’orgueil que j’avais insufflé dans votre cœur, je me doutais que vous ne supporteriez pas de ne pas avoir réponse à tout. Alors, lorsque vous vous sentez perdus, quoi de plus simple que de vous tourner vers nous ?

Vous pensez que Dieu a inventé la vérité et moi le mensonge. Je t’assure que vous vous trompez du tout au tout. C’est vous qui avez inventé ce concept, une fois de plus, pour vous rassurer. Tout vous paraît tellement plus simple lorsque l’on vous affirme qu’une chose est vraie et qu’une autre ne l’est pas. Cela vous évite de vous fatiguer à trop réfléchir. Vous avez compris qu’il est plus ardu de se forger une opinion que de simplement en avoir une. Eh oui, c’est aussi moi qui vous ai appris l’indolence, que depuis vous consommez sans modération. Normal : vous avez goûté à la gourmandise, une autre de mes bonnes inventions.

Je te prie, à ce sujet, d’observer comme vos propos à mon égard sont si souvent injustes : je vous apprends à vous reposer, à bien boire et bien manger, vous amuser et profiter de la vie (qui n’est tout de même pas si longue), et vous m’en faites aussitôt le reproche ! Ce n’est d’ailleurs pas la seule injustice dont je sois victime. Toutes ces légendes stupides dont vous m’affublez : pieds fourchus et yeux injectés de sang, rituels stupides et potions à base de bave de crapaud… Tu as raison : qui supporterait des trucs pareils ? Je vous ai appris le plaisir, l’auriez-vous oublié ? Je ne peux même pas soupçonner Dieu de vous avoir inspiré pareilles sornettes sur mon compte. Ce n’est pas son genre. Il est trop sérieux, tellement occupé à vous pardonner et sauver vos pauvres âmes. Je ne vois pas non plus pourquoi je passerais ma vie à rôtir en enfer. Ce lieu est exclusivement réservé aux pauvres pêcheurs que vous êtes, pour vous punir de vos crimes. Je serais bien fou de m’imposer le même châtiment. À moins que tu n’aies déjà vu un bourreau se guillotiner en même temps que sa victime ?

Donc, autant te dire que la plupart de tes réflexions m’ont paru frappées au coin du bon sens. Il te manque certes les bonnes réponses, mais au moins tu témoignes d’une rare ouverture d’esprit en t’interrogeant non pas seulement sur ce que tu ignores, mais aussi sur ce que tu considères comme acquis. Je te le dis, ce sont là les premiers pas vers la sagesse.

Il est vrai que tu t’appelles Thomas. Je crois savoir que, malgré l’agnosticisme vers lequel tu aimerais tendre (et dont tu restes apparemment encore très éloigné), tu as été baptisé. J’ai bien connu le Saint dont tu portes le nom. J’ai longtemps pensé que lui et moi pourrions être amis. Tu parais avoir hérité d’une bonne partie de son caractère, enfin celui qui faisait de lui un homme et non l’icône sanctifiée qu’il est ensuite devenu. Il avait alors l’habitude de dire : « Je ne crois que ce que je vois ». Un peu comme toi.

Aussi, le mieux serait que j’apparaisse pour de bon devant tes yeux incrédules. Tous tes doutes s’évanouiraient. Mais c’est, hélas, impossible. Le Fils de Dieu lui-même, qui ne comptait ni son temps ni sa peine pour convaincre tes ancêtres de notre existence, avait pris Thomas à part, pour lui expliquer : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Et, aussi « incroyable » que cela soit, voilà Thomas et les autres convaincus ! Depuis, bien que n’ayant jamais aperçu la plus petite queue d’un diable ou les poils d’une barbe divinement frisée, vous êtes des milliards à croire en nous ! Preuve, s’il en faut, que Dieu n’a pas inventé le miracle par hasard.

Pourquoi ni Dieu ni moi ne pouvons apparaître devant toi ? L’explication la plus simple serait que, comme je te l’ai déjà dit, nous sommes fort occupés. Comment pourrions-nous répondre, à la demande, à bientôt dix milliards d’humains si peu éveillés ? Je sais que vous croyez aussi au Père Noël, mais il ne faudrait tout de même pas confondre. Non, en réalité, nous sommes tout bonnement invisibles ! Pour comprendre, le mieux serait de prendre un exemple, avec l’air que tu respires : tu ne le vois pas et pourtant tu sais très bien qu’il est là. Qu’il te manque ne serait-ce qu’une minute, et tu commenceras à te sentir très mal. Eh bien, c’est pareil pour Dieu et moi. Si on devait s’absenter même un court instant, vous ne tourneriez plus rond. Un lien aussi puissant, nous en sommes très fiers ! Du coup, il n’est pas né celui qui nous fera renoncer à nos éminentes fonctions. Tant qu’un humain habitera ce monde, il pourra compter sur nous. Promis juré, et si je mens, je brûlerai en enfer.

Il n’est pas aisé de se faire à cette idée qu’invisibles ne veut pas dire absents. Nous sommes là depuis et pour toujours, au cœur de la moindre particule qui forme cet univers. Ne dit-on pas que j’aime me cacher dans les plus petits détails ?

Aussi, comme tu m’es apparu fort sympathique, j’ai décidé de te dévoiler un secret : le vieux barbu et moi, l’horrible cornu, sommes les deux faces de chacune de ces particules. Considérant que tu n’es toi-même qu’un minuscule amas de particules, je te laisse en tirer les conséquences.

Beaucoup de mortels ne veulent considérer le monde que selon l’angle du divin, et ils sont libres de le faire. Pour autant, je suis toujours là, un peu oublié, mais bien là. Alors, quand tu te proposes de prier et de te tourner vers Dieu, crois-le ou non, cela me ravit. Je ne peux que t’y encourager. Car lorsque tu te détourneras de lui, tu te retrouveras face à moi, le plus naturellement du monde. Oublie en effet les nuages et les entrailles de la terre. Je sais que certains affirment qu’en pensant « bien », tu ne pourras que t’élever, et qu’en pensant « mal », tu tomberas très bas, mais il ne faut tout de même pas exagérer. Que diable ! gardons les pieds sur terre, même s’ils sont fourchus.

Encore un point, avant de te laisser à tes réflexions. Tu as tort de penser que je n’existe que pour détruire, et Dieu pour construire. Vous admettez vous-même qu’après une semaine de travail, votre créateur n’en pouvait plus et a décidé de se reposer en vous laissant finir le chantier qu’il avait entamé. Désolé, mais une fois de plus, ce n’est qu’une de vos inventions pour nous faire porter le chapeau. Comme si vous ne preniez pas vraiment plaisir à faire la guerre, tuer, chasser, voler, ou encore décimer la planète qui vous a vus naître ! Votre hypocrisie est sans limites, pour me mettre ça sur le dos ou en pensant qu’il suffit de vous confesser pour être exonéré de vos fautes.

Allez, ce dernier coup de pouce, pour t’être agréable : si tu tiens vraiment à contempler le visage de Dieu ou le mien, mets-toi face à un miroir et regarde au plus profond de ton âme.

À bientôt, mon cher Thomas, et n’oublie pas : à Malin, Malin et demi !

 

Satan

 

Thomas n’avait-il pas évoqué un autre personnage célèbre, « légendaire », dans son audacieux message ? Voyons ce que le jeune Franck en pensera, la semaine prochaine.

Publié le 29/05/2022
« Lettre Imaginaire » n°7 : Que diable !

 

Que devient le Diable quand il cesse de croire en Dieu ?

Stanislaw Jerzy Lec

 

Monsieur le Diable,

 

Sache, avant tout, que je n’ai pas peur de toi (même si beaucoup d’adultes autour de moi pensent que je devrais). Je ne te crains pas, simplement parce que je ne crois pas en toi. Ceci dit, sois tranquille, je ne crois pas davantage en Dieu.

Il se trouve que je suis un enfant de la République et que je vais en classe dans une école publique, donc laïque. Oh, bien sûr, cela ne m’interdit pas d’avoir la foi. Mais mes professeurs ne sont pas chargés de m’enseigner cette matière. Quant à mes parents, ils sont bien trop occupés à essayer de gagner un peu d’argent, pour avoir le temps de penser à ces choses-là.

De fait, si j’avais cru en Dieu, j’aurais forcément cru en toi. Il semble que vous soyez inséparables, tous les deux. À la façon de frères ennemis. (Si cela avait été comme Dupont et Dupond, ç’aurait été plus rigolo.) Mais je suis bel et bien athée. Des gens ont bien sûr essayé de me convaincre de votre existence, à commencer par plusieurs de mes camarades. Pourtant, je n’ai pas marché. Dans votre histoire, rien ne tient. En comparaison, les aventures de Tintin sont nettement plus crédibles.

L’Un qui vit tout en haut dans le Ciel, sans jamais retomber (Newton est pourtant certain que c’est impossible), et toi qui vis dans les flammes, au centre de la Terre, ce que seul Jules Verne pourrait admettre, et encore, sous certaines réserves. Dieu a au moins l’avantage d’être à notre image (à moins que ce ne soit l’inverse), mais toi, avec tes oreilles pointues, tes cornes de bélier, tes yeux injectés de sang, ta longue queue fourchue et des sabots en guise de pieds… cela ne fait pas très sérieux.

Comme ta manie aussi de vouloir que tout aille mal ! Dieu, Lui, ne veut que du bien pour nous. C’est une qualité rare, mais admirable. Vouloir tout détruire est un défaut largement partagé et qui n’inspire aucun respect. Si on devait voter, tu finirais d’avance perdant. Je reconnais d’ailleurs que c’est ne pas te faire justice. À voir l’état dans lequel est le monde, tu te montres bien plus efficace dans ta mission que ne l’est ton adversaire. Au moins, tu tiens tes promesses, et c’est pourtant contraire à ton éthique.

Bon, mais je devine ta question : pourquoi t’écrire, si je doute de ton existence ? C’est probablement qu’il faut bien tenter le diable !

Imagine ma surprise si, pour t’avoir contacté, tu devais d’un coup apparaître devant moi ! Personnellement, je n’y tiens pas. Je vois d’ici ma tête, la tienne aussi, et cela ne me rassure pas. En même temps, je suis convaincu que tu n’existes pas. Donc, je ne risque rien. N’est-ce pas ?

Et si j’ai choisi de t’écrire, c’est qu’apparemment les prières ne t’intéressent pas plus que ça. Sauf si je m’en tiens aux légendes ridicules que j’ai lues, où il s’agit de pratiquer des rites bizarres et de prononcer des incantations magiques, en buvant un savant mélange de bave de crapaud, de sang de serpent et de bile de chauve-souris. Décidément, tu ne crains pas le ridicule. Et c’est comme ça que tu comptes recruter des fidèles ? Un bon diabolo fraise ou un chocolat chaud nappé de crème fouettée feraient tout de même mieux l’affaire. Sans compter qu’hurler à la lune est moins discret que de déposer une lettre dans une boîte.

Mais, même ainsi, ce n’est pas simple. On dirait que tu n’as rien vraiment prévu, anticipé. Ce qui, dans ton cas, est totalement impardonnable. Je m’explique :

- quel nom dois-je inscrire sur l’enveloppe ? Satan, Diable, Méphistophélès, Belzébuth, Léviathan, Asmodée, Lucifer, le Prince des ténèbres ? Une fois de plus, ce n’est pas sérieux. Papa, qui est dans la publicité, dit que le nom et le logo d’une marque sont parfois plus importants que le produit lui-même. De ce côté-là, tu as tout faux. Tu devrais t’en tenir à un nom et ne plus en changer. D’ailleurs, si je peux me permettre ce conseil (mais papa aurait dit pareil), évite « Prince des Ténèbres ». Ce n’est pas crédible vu que tu prétends vivre dans les feux de l’enfer. Tu ne dois pas être en manque de lumière.

- quelle adresse ? « Entrailles de la terre » ? Parce que, à propos de flammes éternelles, je doute qu’il existe un seul papier qui puisse résister à de telles températures. Mes mots ne seront plus que cendres avant que tu aies pu porter tes yeux (injectés de sang) sur eux.

- et enfin, je n’ai aucune chance que La Poste me prenne au sérieux. Quel facteur, même expert en spéléologie, accepterait de se dévouer pour descendre si profond ? Sans compter que le sens du service, dans cette institution, n’est plus ce qu’il a été. Pourquoi n’habites-tu pas sur terre, dans une grande capitale, là où il serait facile de te joindre ? Après tout, tes pouvoirs sont supposés te rendre indestructible, même face à la pollution urbaine.

J’en viens à me demander lequel de nous deux est le moins sensé. Moi, qui me lance dans une tentative vouée d’avance à l’échec, pour toutes les raisons énoncées. Ou toi qui rêves de t’approprier chaque âme humaine, alors que tu sembles tout faire pour rester injoignable ?

De toute façon, rien n’a de sens avec toi. Admettons que tu mènes au bout ton œuvre de destruction (vu que, comme je te l’ai déjà dit, on doit admettre que tu es bien parti pour ça). Comment vois-tu la suite ? J’imagine que si tu te retrouves au chômage, ce sera aussi le cas de ton frère ennemi. Où va le monde, avec de tels plans sans lendemain ?

Il faut tout de même que je t’avoue la vraie raison pour laquelle je t’écris « au cas où tu existerais pour de vrai ». Dans un combat, je suis pour l’égalité des chances, et il n’est pas question de tricher. Je refuse d’être superstitieux, par crainte que cela ne me porte malheur, mais j’ai tout de même pris une décision. Aussitôt ma lettre postée, je reviendrai dans ma chambre pour… prier. Je veux aussi m’adresser à Dieu, Jéhovah, Allah, Grand Manitou, Adonaï, Le Verbe, Le Très Haut, le Créateur… (Lui non plus n’a pas dû faire d’école de publicité). Car, contrairement à toi, Le contacter est on ne peut plus simple. Même pas besoin de bave de crapaud ni de formules magiques. Juste joindre les mains, fermer les yeux et s’adresser à Lui en silence.

Si j’établis le contact, je Lui demanderai d’un peu mieux utiliser Ses pouvoirs. Autour de moi, je ne vois que des gens tristes qui (eux aussi) ne croient plus en rien. Les vieux s’excusent d’avoir si mal géré la planète, de s’être montrés si égoïstes. Les jeunes ne savent plus vivre qu’au jour le jour. Mes copains et moi, on aimerait faire quelque chose, mais on ne sait pas quoi. De toute façon, personne ne nous prend au sérieux. Alors, je peux bien me fendre d’une petite prière.

Après tout si ni Dieu ni toi n’existez, il serait peut-être temps de vous inventer.

Allez, à Dieu vat.

 

Thomas

PS : j’hésite encore à mettre mon nom et mon adresse au dos de l’enveloppe.

 

Et si le diable lisait la lettre de Thomas ? Nous en saurons davantage la semaine prochaine.

Publié le 22/05/2022
Faute de grives…

Comment ne pas se réjouir, avec Jean-Yves Le Drian, de la défaite de Scott Morrison aux toutes récentes élections australiennes ?

C’est certainement un moment important de l’histoire politique récente du pays. Au-delà de l'affaire des sous-marins, la gouvernance ultra libérale de Morrison, pilotée par ses alliés anglais et américains, a provoqué des dégâts considérables sur le plan social, mais aussi et surtout environnemental pour l’île-continent.

L’ennui est que le nouveau Premier ministre australien, le travailliste Anthony Albanese, ne jouit pas d’une bien meilleure réputation au sein de la population, en tout cas pas celle d’un homme très brillant. Ses promesses en matière sociale et écologique, certes alléchantes, vont nécessiter de véritables compétences techniques et politiques pour aboutir.

Mais ne dit-on pas (un peu partout sauf en France) que, plus que l’homme, c’est l’équipe qui compte. La constitution de son gouvernement avec des femmes et des hommes de compétence, ou non, donnera vite le ton de la politique d'Albanese pour ces prochaines années.

 

Et c’est bien là tout le problème ! Celui du manque de compétences.

Nombre de pays sont concernés. Comment élire un président, un Premier ministre, un député… lorsque le choix de bons candidats est si restreint ?

Faire tomber Poutine en Russie est une chose, mais pour le remplacer par qui ? Trudeau, au Canada, un président jeune, plein de promesses et d’avenir, est aujourd’hui l’objet de nombreuses désillusions. Or, s’il fallait le mettre hors-jeu, qui serait à même de donner plus d’espoir au pays ? Aux USA, un Démocrate remplace un Républicain de la pire espèce, mais les politiques intérieure et extérieure du pays ont-elles vraiment changé ? Et ainsi de suite…

 

L’honnêteté, la loyauté, le courage, la transparence, le dévouement à de grandes causes… apparaissent comme des valeurs désuètes et désormais absentes de l’éducation suivie par tous les politiciens en herbe. Elles sont pourtant essentielles dans la balance qui, sur son autre plateau, a placé les poids lourds que sont la finance et l’économie, la diplomatie et la négociation, la communication et la pipolisation, la surveillance et le contrôle… afin de garantir un juste équilibre des mesures prises pour le peuple.

Sans elles, que vaut une démocratie ?

 

Hélas, Res publica oblige, la chose est devenue courante, l’électeur s’y est vite habitué : "faute de grives, il se contentera de merles". Et quoi de plus enchanteur que le chant d’un merle ?

Publié le 22/05/2022
« Lettre Imaginaire » -6 : Il est temps que cela… barde !

Je vous propose de repartir en lecture au fil... des Lettres imaginaires

(Pour rappel, les cinq précédentes ont été publiées dans cette même rubrique, à des dates antérieures, et une introduction à ce recueil a été présentée dans la chonique du 14/03, intitulée "Lettres Imaginaires".)

 

Le texte qui suit est en hommage à Madame Brigitte Bardot et est reproduit avec son accord.

 

Je ne fais pas partie de l'espèce humaine. Je ne veux pas en faire partie.

Je me sens différente, presque anormale.

Aussi longtemps que l'animal sera considéré comme une espèce inférieure,

qu'on lui infligera toutes sortes de maux et de souffrance,

qu'on le tuera pour nos besoins, nos loisirs et nos plaisirs,

je ne ferai pas partie de cette race insolente et sanguinaire.

B. Bardot

 

Chère Madame Brigitte Bardot,

 

C’est la première fois que j’écris à quelqu’un d’aussi célèbre que vous. Mais je le fais car je vous aime beaucoup et j’ai confiance en vous. Bien sûr, je comprendrai si vous n’avez pas le temps de me répondre. Le plus important pour moi est que vous receviez ma lettre et puissiez la lire.

Je sais que des tas de gens vous admirent parce que vous étiez une très célèbre actrice. Mais je suis trop jeune pour connaître vos films. J’en ai tout de même vu deux, dont un en noir et blanc, auquel je dois dire que je n’ai pas tout compris. Ce qui est sûr, c’est que vous étiez très belle. Tous les hommes devaient tomber amoureux de vous. Aujourd’hui, vous êtes une vieille dame, et moi je vous trouve toujours aussi belle et encore plus formidable.

Au moins, vous n’êtes pas égoïste, comme la plupart des stars. Vous avez arrêté de faire des films, et vous n’êtes pas restée juste entourée de vedettes du cinéma ou de la télé. Vous avez préféré défendre la cause de ceux que vous refusez de voir souffrir : les animaux. C’est vraiment courageux. Des gens se moquent de vous à cause de cela, mais cela ne vous a jamais empêchée de continuer à défendre les animaux, depuis près de cinquante ans.

J’imagine que peu de personnes sur terre en ont sauvé autant que vous, même s’ils en ont pourtant les moyens. Une chose est sûre, si un jour j’ai de l’argent, je ferai exactement comme vous.

J’en ai déjà secouru pas mal moi aussi : des oiseaux pris dans des fils plastique, des hérissons qui vont sur la route, des mouches affolées devant la fenêtre fermée, ou encore des araignées tombées dans le lavabo ou la baignoire. Mais, bien sûr, c’est si peu en comparaison de vous et, surtout, face à tous ceux qui préfèrent leur faire du mal.

Chez moi, c’est très difficile. Mon grand-père est chasseur et lui, depuis plus de cinquante ans, il tue des animaux sauvages. Il dit qu’il aime les bêtes, sous prétexte qu’il aime son chien de chasse. Mais même son chien est malheureux, enfermé dans sa cage pendant toute la semaine.

Mon père aussi est chasseur, et il a déjà offert une carabine à mon frère. À la maison, on se dispute tout le temps. Je vois bien que lui et mon grand-père ne m’aiment pas. Surtout depuis que je refuse de manger de la viande. Ma mère ne dit rien ; mais, justement : elle ne dit rien. Elle préfère les laisser faire plutôt que de se fâcher avec eux. Du coup, je me sens très seul. Personne ne me comprend et je ne comprends personne.

Quel plaisir y a-t-il à tuer un être vivant ? Quand ce n’est pas, comme souvent dans ma région, pour les torturer. N’ont-ils jamais écouté le chant des oiseaux qu’ils vont piéger ? Comment peuvent-ils les laisser mourir de faim, de soif, de douleur ? Pourquoi sont-ils insensibles au regard d’une vache, d’un agneau, d’un âne ? Aucun de ces animaux qu’ils aiment tuer et manger ne leur a fait de mal, ne les a attaqués. Sans parler de ceux qui leur font peur : araignées, serpents, (et aussi les requins, les tigres, qui ne risquent pourtant pas de leur faire du mal par chez nous). Ils veulent les massacrer, sans raison. Mes parents et mon frère vont jusqu’à écraser les abeilles qui viennent butiner les fleurs sur notre balcon, si elles ont le malheur d’entrer par la fenêtre laissée ouverte. Comme si elles pouvaient savoir ! Et en plus, elles ne sont pas dangereuses. Ils sont pourtant bien contents de couvrir de miel leurs tartines du matin !

Vous avez sauvé des centaines et peut-être des milliers d’animaux. Mais vous voyez bien que cela ne suffit pas. C’est pour ça que je vous écris. Car je pense que vous devriez créer une armée !

Pas pour tuer ces gens, et devenir aussi bêtes et méchants qu’eux, mais juste pour les empêcher de continuer d’agir comme ils le font. Les gendarmes sont de leur côté, et bien souvent les juges aussi. Du coup, les chasseurs, les abattoirs, les mauvais éleveurs ne sont jamais condamnés. Il manque plein de lois, et de volontaires pour les faire respecter quand elles existent. Je suis encore trop jeune, mais dans trois ans, quatre au plus, je pourrai rejoindre votre armée. Et nous serons des milliers à le faire. On volera leurs fusils aux chasseurs et leurs pièges aux braconniers. On libérera leurs chiens, leurs furets, qu’on gardera avec nous. Et quand ils en auront assez de dépenser tout leur argent, ils passeront peut-être à autre chose.

Mais le plus important, c’est qu’on fera des tas de collectes pour acheter des forêts, des champs, des rivières, qu’on protégera nous-mêmes, en nous relayant. Les hérissons trouvés au bord des routes, les faisans que l’on fera s’échapper des élevages, tous les animaux qu’on réussira à sauver auront une place dans nos réserves protégées. Les chasseurs pourront continuer de s’empiffrer devant leurs télés et fumer leurs gros cigares en rêvant de tuer des bisons ou des éléphants pour se sentir plus grands et plus forts (ce qu’ils ne seront jamais), mais on finira bien par les dégoûter. On leur offrira des peluches et des têtes d’animaux en carton afin qu’ils les accrochent au mur, au-dessus de leur cheminée. On leur donnera aussi des appareils photos, avec le droit de venir photographier les animaux en liberté dans nos réserves, pour apprendre à les regarder et à les écouter. On pourrait aussi employer quelques « chasseurs intelligents » (il en existe peut-être) pour qu’on échange nos connaissances. Et je suis sûr qu’il y a encore plein d’autres idées à envisager.

Je sais que vous devez être fatiguée et même découragée, Madame Bardot. Mais il faut que vous teniez bon. Notre armée a besoin de vous. Peut-être que nos mères finiront par suivre votre exemple, ainsi que tous les pères qui préfèrent offrir un vélo à leur fils plutôt qu’un fusil. Dans mon collège, on est nombreux à être d’accord et prêts à faire quelque chose. C’est juste qu’on ne sait pas comment s’y prendre. D’ailleurs, à la cantine, une fois par semaine c’est repas végétarien. Et tout le monde se régale. Même ceux qui ne veulent pas se passer de viande se rendent compte qu’il est possible de ne pas en manger tous les jours.

Avec plusieurs copains, on a formé un groupe de reportage. Chaque mois, on prépare un exposé sur un animal différent. Pas juste des informations ennuyeuses, mais aussi des photos humoristiques, des sketches avec des déguisements, des jeux, des concours. C’est un énorme travail. On le fait volontiers depuis que le directeur nous a encouragés et nous laisse tout le préau et l’amphi disponibles pour notre journée spéciale « animalière ». La semaine dernière, il nous a dit qu’il envisageait d’inviter les parents d’élèves, si on continue de faire un si bon travail. D’autant que plusieurs professeurs nous ont rejoints et nous aident beaucoup. Il paraît que, le mois prochain, il y aura même un correspondant du Midi-Libre qui passera pour faire un article sur notre groupe !

Bien sûr, je ne m’attends pas à ce que ma famille vienne un jour nous encourager. C’est dommage. Ils comprendraient que je ne suis pas le seul enfant à m’intéresser à la protection animale, et peut-être que, pour une fois, ils écouteraient notre point de vue.

Chère Madame Bardot, je vous laisse mes coordonnées au dos de l’enveloppe, pour que vous puissiez me répondre si vous en avez le temps, et pour que vous sachiez que vous serez toujours la bienvenue dans notre collège, au cas où vous passeriez un jour dans la région.

Je me permets de vous embrasser, et j’adresse plein de caresses à tous les gentils animaux qui vous entourent.

 

Noé

 

La semaine prochaine, si tout va bien, le jeune Thomas tentera d'écrire à celui dont on préfère éviter de prononcer le nom...

Publié le 16/05/2022
Des marais d'Oléron jusqu'à la Chine...

Rien de mieux qu’une escapade dans les marais proches d’Oléron pour se nourrir de magnifiques images et se changer sérieusement les idées. Les habitants du marais étaient là, de la petite libellule à la gigantesque cigogne, en passant par les guêpiers, les gorges-bleues, les martins-pêcheurs, les bergeronnettes printanières, les spatules, les hérons (dont le magnifique héron pourpré), les cygnes, les buses, les faucons-crécerelles… Quel bonheur aussi que de réentendre le chant des grenouilles et découvrir ainsi qu’elles n’ont pas toutes disparu.

 

 

                               Bergeronnette printanière                                                                       Guêpier

 

 

                                        Spatule                                                                                     Héron  

Images : cheminsetcultures. Tous droits réservés. © 2022

 

Et, à propos d’oiseaux, les passionnés de nature le savent : certains de ces volatiles témoignent d’un formidable courage lorsqu’il s’agit de défendre leur territoire.

Lorsque leur gabarit est imposant, cela suffit souvent à décourager les intrus, y compris des humains. Par exemple, se promener en canoë et approcher un peu trop un nid de cygnes risque de déclencher l’ire du mâle ou de la femelle qui n’hésiteront pas à attaquer et, parfois, provoquer le dessalement de l’embarcation et envoyer ses passagers à l’eau. Idem avec l’oie, qui protège « sa » zone réservée avec une fermeté redoutable. Il arrive ainsi que des randonneurs se voient interdire l’accès à certains chemins, si par malheur ceux-ci traversent  le territoire d’une ou plusieurs oies. Et il est difficile de ne pas prendre ses jambes à son cou face à la charge d’oies en colère !

 

Les hommes ont de tout temps su exploiter les qualités des animaux pour servir leurs intérêts, et les Chinois aujourd’hui ne font pas exception. National Geographic nous apprend en effet que plus de cinq cents oies ont été déployées le long de la frontière sino-vietnamienne, afin de lancer l’alerte en cas d’entrées illégales sur le territoire. Les cris des oies, en plus de parfois suffire à repousser les intrus, alertent les gardes-frontières et leurs chiens. Ce plan de défense a été concocté dans le cadre de la lutte contre la Covid 19, afin de mieux contrôler les déplacements illicites.

Après tout, il y a longtemps, les oies ont sauvé le Capitole. Aujourd’hui, pourquoi ne protégeraient-elles pas la « Grande muraille »  

Publié le 16/05/2022

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