Trump ou... Levinas ?

Je ne me lasse pas de reprendre la magnifique définition de l’Humanisme (la plus courte aussi que je connaisse) du philosophe français Emmanuel Levinas (1906-1995), auteur notamment de Totalité et Infini, et dont l’éducation, dans sa prime jeunesse a été enrichie des enseignements de la Torah. Il disait : « Après vous  devrait être la plus belle définition de notre civilisation ».

Nous sommes ici à mille lieues du « Moi d’abord » qui semble au contraire caractériser désormais la civilisation que nous développons, et qu’évoque déjà mon billet précédent (à propos du Brexit, un exemple parmi tant d’autres).

 

L’actualité ne nous préserve hélas pas des décisions qui, chaque jour nouveau, se posent comme un déni du propos de Levinas. Ainsi les pays occidentaux pris en « flagrant délit » de Nationalisme Vaccinal.

C’est en tout cas ce que dénonce une ONG internationale, Oxfam, créée en 1942 en Angleterre pour lutter contre la pauvreté (si, si, Mr Johnson) et dont le siège est désormais basé au Kenya. Elle publie un rapport qui en dit long sur notre goût pour le Moi d’abord :

 

50% des doses de vaccins anti Covid 19 à venir (produites par de multiples fabricants concurrents) ont été préachetées par un petit groupe de pays riches qui ne représente que 13% de la population mondiale !

 

Parmi ces pays : les USA, le Royaume-Uni, l’Union européenne, le Japon, l’Australie, Hong Kong, la Suisse et Israël. Quant aux laboratoires concernés (je n’ose dire complices) : AstraZeneca, Sanofi, Pfizer, Johnson & Johnson, la biotech américaine Moderna, le laboratoire chinois Sinovac et l’institut russe Gamaleïa.

Oxfam rappelle que, dans le même temps, le dispositif de mutualisation internationale appelé Covax, soutenu par l’OMS, est boycotté par Washington et manque cruellement de financements.

Les États-Unis (330 millions d’habitants) ont réservé un total de 800 millions de doses auprès de six fabricants, et l’Union européenne (450 millions d’habitants) a au moins acheté 1,5 milliard de doses, selon un décompte de l’AFP.

 

Alors que des experts de la santé ont soumis plusieurs idées de répartition, visant notamment à ce que TOUS les pays puissent vacciner au moins 20% de leur population, avec un effort supplémentaire pour ceux où la mortalité est la plus importante, les USA maintiennent leur décision de faire passer leur population en toute priorité.

 

On peut comprendre l’amertume d’Oxfam qui a le courage de rappeler que : « L’accès vital aux vaccins ne doit pas dépendre du lieu où l’on habite ni de l’argent dont on dispose ».

Publié le 01/10/2020
Exemplarité

Dans les périodes de crise à l‘échelle d’un groupe social (famille, entreprise, nation, communauté de pays…) chacun sait que l’élément déterminant vers une résolution est : la confiance !

Le ou les décideurs, responsables des nouvelles règles à suivre doivent, pour s’assurer de cette confiance, sans laquelle lesdites règles deviendraient de facto inutiles, assurer aux autres leur volonté de bien faire et d’agir dans le bien commun de l’ensemble du groupe, à l’exclusion de tout intérêt personnel et minoritaire incompatible avec ce premier objectif. Et pour cela, ils doivent donc témoigner d’une parfaite exemplarité.

Voilà bien ce qui rend tout « poste à responsabilité » encore plus lourd : l’indispensable exemplarité.

 

Que peuvent des parents vis-à-vis de leurs enfants, lorsque leur propre comportement est indigne ? Que vaut un chef d’entreprise qui trahit la confiance de ses employés ? Comment espérer la poursuite d’un exercice démocratique dans une république dont les gouvernants se comportent comme des voyous ? (Il est loin le temps où Charles de Gaulle payait sa propre facture d’électricité). Et que promet un pays lorsqu’il trahit la confiance de ceux avec lesquels il négocie ?

 

La trahison est un mot central dans les relations franco-britanniques, à travers les siècles. Mais ce qui se joue à présent en Europe va bien au-delà de la seule sphère franco-britannique. Pourtant, à quoi assiste-t-on aujourd’hui ? Alors même que les négociations pour le Brexit arrivent à leur ultime ligne droite, le parlement anglais vient d’approuver la proposition de Boris Johnson de revenir sur plusieurs dispositions du traité qui encadre ces négociations entre la Grande Bretagne et les 27 pays membres de l’UE ! Le texte du Premier ministre a été voté par les députés anglais avec 340 voix pour et 256 contre. Il pourra donc être examiné à la chambre des Lords dans les jours qui viennent. Et pourtant, ce texte trahit les accords précédents et, selon les Anglais eux-mêmes, est une violation du droit international.

Sont en cause des sujets comme l’application du libre-échange dans le cas de l’Irlande, les nouvelles règles applicables à la pêche, mais aussi et surtout l’opportunité que représente un Brexit (réalisé aux conditions exigées par Johnson) pour la Grande Bretagne, de concurrencer l’UE de façon déloyale en pratiquant une économie « hors normes », dérégulée.

 

 

Boris Johnson est de ces personnages politiques des temps modernes qui n’ont pas choisi de gouverner par l’exemplarité ni la confiance, et qui privilégie le bien individuel au bien collectif, la trahison opportuniste à la parole donnée sur le long terme. Sa politique sur le Brexit présente au moins l’avantage d’être cohérente avec celle qu’il a menée contre la Covid 19.

Mais le plus inquiétant dans cette forme de gouvernement par la trahison, surtout à une telle échelle, est qu’elle est avant tout un signal fort... d’impuissance.

 

La littérature de science-fiction, depuis Jules Verne à Isaac Asimov, en passant par Philip K Dick et tant d’autres, est riche d’illustrations et de pensées sur ce propos.

Les questions de bonne gouvernance que posent les Johnson de ce monde me rappelle notamment un passage de Cristal qui songe, le roman de Théodore Sturgeon, publié dans les années 1950 :

« Le premier impératif de survie s'exprime en fonction de l'espèce ; le suivant en fonction du groupe ; le dernier en fonction de l'individu. Tout le bien, tout le mal, toute la morale, tout le progrès dépendent de l'ordre dans lequel on se conforme à ces trois impératifs. Si l'individu survit aux dépens du groupe, il met l'espèce en danger. Si le groupe entend survivre aux dépens de l'espèce il va manifestement au suicide. L'essence du bien et du mal réside là ; c'est de cette source que coule la justice pour l'humanité entière. »

 

Dans le cas présent, le propos d'un autre auteur, non des moindres, semble s'imposer. Je pense à Paul Valery :

" Un Etat seul n'est jamais en bonne compagnie".

Publié le 01/10/2020
Conférence : Une Histoire de la marine chinoise

Une nouvelle conférence vient compléter le cycle « Chemins entre Chine et Occident ».

Tous les détails sur l’ensemble des conférences, sur ce site : onglet « Rencontres – Conférences ».

 

Son titre :  Une Histoire de la Marine Chinoise

 

 

 

Son propos :  un voyage à travers plus de deux mille ans de l’histoire de Chine ; ses moments les plus lumineux - lorsque l’Empire du Milieu dialoguait et commerçait loin de ses frontières, avec la moitié de la planète, témoignant de la grandeur de sa civilisation, unique pour l’époque, tout comme l’était sa puissance commerciale - et les plus sombres, lorsque, dirigé par un peuple étranger (Mandchou), divisé de l’intérieur, ce même Empire est victime de son retard technologique alors même qu’il doit affronter l’appétit féroce des commerçants occidentaux.

Ce coup d’œil sur le passé éclaire étonnamment la période actuelle, qui n’a jamais été aussi tendue entre les deux blocs, Est et Ouest. Et la marine, un puissant instrument au service de l’Empire britannique et de tant d’autres nations occidentales, dont la présence, en regard, semble si modeste dans la longue histoire chinoise, s’annonce comme un élément crucial, tant dans l’avènement du conflit mondial qui se dessine, que dans sa résolution.

 

Le Carnet de cette conférence est également achevé

 

 

et vient rejoindre les précédents :

 

        

 

Renseignements : cheminsetcultures@yahoo.fr

 

 

Publié le 26/09/2020
36 Quai des Cévennes... Festival du Polar

Du 27 au 29 novembre prochain se tiendra au Vigan le Festival du Polar intitulé « 36, Quai des Cévennes ». Petits déjeuners débats, tables rondes, projections de films, conférences, signatures d’ouvrages… autant d’activités pour satisfaire les amateurs du genre !

 

 

Je suis invité pour les trois jours et pourrai ainsi (enfin) présenter mon dernier polar : Le chant des galahs.

 

La très belle librairie de Montpellier, La Géosphère, (spécialisée dans les ouvrages de voyages et de belles aventures humaines) est partenaire du festival et présentera la plupart de mes ouvrages.

 

Les autrices Claire Raphaël et Hannelore Cayre participeront également à ce bel événement.

 

NB : J’ai évité l’emploi du conditionnel, mais organisateurs comme invités sommes tous conscients de l’épée de Damoclès que la Covid 19 continue de faire peser sur ce projet. Alors, d’ici là : croisons les doigts !

Publié le 23/09/2020
Le Premier ministre Scott Morrison est-il Amish ?

Un intérêt (ce n’est évidemment pas le seul) du court texte de Simon Leys, publié dans le billet précédent, est d’induire que l’Australie est une terre sur laquelle "l’homme n’a aucune pertinence, où il est superflu".

L’histoire récente et même l’actualité de ce pays ne peut que lui donner raison, et tant pis si le propos passe pour misanthrope.

 

En effet, que deviendrait l’Australie sans les Australiens, en particulier les plus influents d’entre eux, dont le Premier ministre, Mr Scott Morrison ?

 

Au moment même où…

 

- Airbus travaille à faire voler ses prochains appareils à l’hydrogène avec l’objectif de contribuer ainsi à réduire l’impact de la pollution due à l’aviation (1) 

(1) encore faudra-t-il que la production de l’hydrogène nécessaire satisfasse elle-même à des impératifs écologiques

 

- aux quatre coins de la planète, se tiennent une foultitude de réunions sur l’environnement, le climat et les énergies propres 

 

- le rapport du GIEC (2019) rappelle que : « Rester sous la barre des 1,5 degré de réchauffement réclame d’atteindre l’équilibre carbone vers 2050. Ce qui laisse moins de 30 ans pour avoir remplacé de manière complète des combustibles fossiles qui représentent environ 80 % de nos ressources énergétiques. »

 

- l’Australie, ravagée par les incendies, les inondations, la pollution des airs et des eaux, prend conscience du rôle du réchauffement climatique dans les phénomènes météorologiques extrêmes

 

Morrison vient d’annoncer qu’il était essentiel de relancer l’économie du pays en misant à fond sur… le secteur gazier !

 

"Joignant le geste à la parole", il a présenté un plan contenant de multiples projets allant de la construction de gazoducs, de centrales au gaz, d’exploitation de nouveaux gisements, en pratiquant notamment la fracturation.

 

L’Australie est devenue le 3ème pays exportateur de combustibles fossiles (dont le charbon et le gaz), derrière la Russie et l’Arabie saoudite, et pourrait bientôt, grâce à ces projets, gagner encore une place, voire deux !

 

Ce faisant, et imitant sans doute son modèle américain, Donald Trump, Morrison ne tient aucun compte des avis des scientifiques qui l’entourent et/ou font autorité dans le pays. Ainsi, l’Australia Institute a émis de sérieux doutes sur l’impact desdits projets pour restaurer l’emploi, et considère que l’exploitation des réserves gazières triplera les émissions de gaz à effet de serre de la planète.

Il ne tient pas davantage compte de l’avis de nombre d’économistes et de scientifiques qui misaient eux sur une « relance verte », allant ainsi dans le sens de la majorité de la population australienne désormais inquiète des proportions prises par le réchauffement climatique. Pour ces derniers, il est plus que temps que l’Australie développe les énergies propres, très minoritaires aujourd’hui, alors que le continent bénéficie du taux d’ensoleillement par km² le plus élevé de la planète.

 

Peut-être faut-il demander à M. Macron si Scott Morrison ne serait pas un Amish de la production énergétique ?

Publié le 22/09/2020
L'ange et le cachalot

Pacifiste convaincu, les tensions qui se renforcent aux quatre coins de la planète (cf. billet du 18 septembre : Possible conflit armé entre Chine et USA ?) ne sont pas pour me réjouir. Tout particulièrement lorsqu’elles opposent la Chine et l’Australie (aujourd’hui à la limite de la rupture diplomatique), deux terres chères à mon cœur et qui occupent mes pensées depuis plus de 40 ans.

 

Ce sentiment douloureux et inquiet, il me semble qu’un homme au moins le partagerait si, par bonheur, il était encore de ce monde aujourd’hui. Il s’agit de Pierre Ryckmans, alias Simon Leys, talentueux auteur Belge, sinologue émérite, et professeur australien (il avait la double nationalité : belge et australienne) tout aussi émérite.

 

Mais je me garderai bien de tomber dans le piège de ceux qui, à titre d’exemple, encensaient Confucius après sa mort (sans nécessairement voir d’analogie entre celui-ci et notre ami belge), par crainte, comme l’analysait si justement Leys, de pratiquer la « glorification » : le hisser sur un piédestal, l’encenser et en faire un dieu… autrement dit de lui ôter toute réalité, tout esprit vivant, et conduire à l’oubli de l’homme qu’il était.

 

Je me contenterai par conséquent de dire que j’éprouve pour Leys une très grande affinité.

Sans jamais la moindre tentation d’espérer un jour l’égaler dans ses divers talents (ni, ce serait pire, l’imiter), je me reconnais dans son écriture, la plupart de ses analyses sur la Chine (si nombreux sont les sinologues, si peu me paraissent connaître la Chine), son goût de la littérature, son affection probable pour l’Australie.

Je n’ai qu’un seul regret, n’avoir jamais eu la chance de le rencontrer pour partager avec lui sur nos goûts communs et, bien mieux encore, sur nos différences de vue. Ce regret est toutefois tamisé par l’idée que si j’avais dû choisir entre découvrir l’homme et découvrir son œuvre, j’aurais sans hésiter opté pour son œuvre.

 

C’est d’ailleurs en redécouvrant son amusant (et en même temps profond) L’ange et le cachalot (Ed. Seuil), empli de ses points de vue sur la littérature (de Balzac à Lawrence, en passant par Malraux et Simenon) et, bien sûr, la Chine et l’Australie, qu’un passage (pages101-104) a tout particulièrement retenu mon attention et éveillé le désir de le partager à travers cette rubrique.

 

Il s’agit d’un extrait du chapitre consacré à DH Lawrence et son mondialement célèbre roman Kangaroo (Kangourou).

       

Avant de nous apprendre que le roman de Lawrence, présenté par son auteur lui-même comme une fiction (sans doute pour protéger sa vie) relatait des faits on ne peut plus réels sur l’extrême-droite australienne, Leys nous offre un excellent synoptique du livre ainsi que ce qui se présente comme... le propre sentiment de Simon Leys sur l’Australie.

Ces quelques pages ont été pour moi source de stupeur. Les voici :

 

<< Quand Lawrence aborda en Australie, il n’était assurément pas le premier explorateur littéraire de ce continent.

Les plus anciennes apparitions de l’Australie en littérature relèvent du mythe et de l’hallucination, comme il convient pour une terre dont, même aujourd’hui, les habitants ne paraissent pas entièrement convaincus de sa réalité.  ../..

../.. Durant tout le XIXè siècle, les témoignages des visiteurs et des colons anglo-saxons sur le paysage australien reflètent un malaise, voire même une sorte d’effroi inarticulé, qui frappe d’autant plus que ce sentiment n’était pas le fait d’individus particulièrement impressionnables ou imaginatifs. Le paradoxe est que, sans recéler de dangers évidents ni d’animaux féroces, la nature australienne leur semblait respirer une bizarre menace. Car c’est ici un monde à l’envers – et le renversement des saisons n’est que l’indice extérieur de quelque chose de beaucoup plus inquiétant. Le climat est apparemment clément, mais on n’y meurt pas moins de faim et de soif ; la pays paraît riant – et il est radicalement stérile et inhospitalier ; on dirait une sorte d’immense verger ouvert et ensoleillé – et on s’aperçoit que les arbres n’y portent que des fruits ligneux, de repoussantes poires de bois. Les sempiternels eucalyptus, monotones, omniprésents, perdent leur écorce en toute saison ; ce sont de lamentables arbres en haillons, et leur feuillage couleur de poussière ne donne aucun ombrage. La faune est inoffensive, mais tellement grotesque qu’elle en devient presque sinistre : de qui la Nature se moque-t-elle avec des inventions aussi absurdes que le kangourou et l’ornithorynque ? Et les wombats patauds, et ces lourdauds d’opossums bruyants et asthmatiques qui vous réveillent la nuit, comme ils trébuchent sur les tôles du toit, de leur pas incertain d’ivrogne ? Dans le vide de la forêt, les jacassements des cacatoès, les explosions d’hilarité frénétique et imbécile des Kookaburrahs rieurs ressassent une exaspérante et lugubre plaisanterie d’où l’homme est exclu, et qui vient souligner son exil. Le paysage est informe : est-ce l’effet d’une usure extrême ? Ou au contraire la création encore balbutiante vient-elle à peine de commencer ici, à tâtons ? Les pionniers blancs étaient prêts à courageusement s’empoigner avec la Nature, mais leur défi retombait à plat, il ne rencontrait qu’une colossale indifférence sur laquelle leur énergie demeurait sans prise. Et même aujourd’hui, les grandes villes modernes qu’ils ont bâties de façon incongrue, en lisière de l’immensité sans âge, semblent à peine moins fragiles et dérisoires que les abris des aborigènes nomades dont, pendant plus de cinquante mille ans, la trace légère n’a jamais fait qu’érafler un instant la poussière des déserts. L’horreur inexprimable des premiers colons s’enracinait dans une intuition profonde : dans un monde d’une étrangeté aussi radicale, l’homme n’a plus aucune pertinence, il est superflu. Et en effet, le visage de l’Australie, c’est celui que présentait la Terre avant l’apparition de l’homme, et c’est aussi celui que retrouvera la Terre quand l’homme aura disparu. >>

[Le soulignement de ce dernier passage est de mon fait : une des rares phrases de ce court propos avec laquelle je me sens en plein accord, et qui explique précisément mon attachement viscéral à cette terre lointaine (Terre de van Diemen comprise :).]

 

Ma stupeur, à la lecture de ces quelques lignes, se mesure à l’aune de mon affinité - exprimée plus haut - envers Leys.

En effet, à chaque appréciation  négative de sa part, s’oppose un souvenir de bonheur, une sensation de pleine satisfaction de la mienne. Là où il voit laideur, j’ai vu beauté ; là où il exprime son malaise, je situe mon bien-être ; quand il relate un effroi dû à une menace voilée, indéfinie, bizarre, et une Nature pourtant sans dangers, je n’ai vu au contraire que Nature aux dangers bien réels, objectivement identifiés. Je ne pourrais me lasser des tableaux magnifiques qu’élaborent les troncs d’eucalyptus (dont il existe en plus tant de variétés), des rires des Kokaburras, des chants d’oiseaux (là encore : des centaines de variétés. Cf : mon Carnet de voyage n°2 sur la Tasmanie), de l’infinie diversité de la faune et de la flore, jusqu’à s’émerveiller, s’interroger, sur le processus même de la création lorsque l’on découvre, en effet, l’ornithorynque ou le thylacine (du moins les rares photos prises du vivant de ce dernier). Point de Nature grotesque, sinistre ou absurde. Pas plus que de sentiment d’exaspérante et lugubre plaisanterie.

 

Nous voilà donc, Leys et moi, aux antipodes à propos de ce continent.

Est-ce, de sa part, un parti pris d’auteur ? la recherche d’une expression poétique ? une suite d’expériences personnelles insatisfaisantes ? le point de vue d’un « intellectuel » ? (Aucune de ces hypothèses n’a, de ma part, vocation à traduire mépris ou péjoration : Leys a un point de vue - c’est parfois mieux que de n’en pas avoir - et il l’exprime, ce qui est de fait respectable.)

Mais comment expliquer nos regards aussi antagonistes pour un continent sur lequel nous avons tous deux, cela paraît évident, apprécié de séjourner ?

 

Il me semble que de tels lieux impliquent, lorsque l’on désire les rencontrer (et donc autrement qu’en simples touristes), à se préparer à un profond et sublime renversement. Ce n’est pas par hasard si l’autre nom de l’Australie est Down-under (auquel Leys lui-même fait allusion dans son commentaire) ou si (à propos de la Chine) l’on a laissé longtemps courir la fable de ces Chinois qui vivent la tête en bas.

Il s'agit d'un renversement de nos valeurs, de nos repères, qui oblige à nous déshabiller, en particulier de nos atours intellectuels, et de pénétrer nus et modestes dans la réalité profonde de ces (nouveaux) mondes.

 

Disons-le tout net : de la même manière, mon attachement à la beauté, la biodiversité, l’infinie aventure que représente l’Australie à mes yeux et à mon cœur, pourrait bien ne passer que pour une simple satisfaction béate devant l’exotisme qu’appelle parfois la langueur monotone d’une vie citadine.

Ce n’est pas important. Il n’est nul besoin de trancher ici.

 

Je suis de toute façon reconnaissant à Leys d’avoir peut-être apporté (à son insu) un éclairage intéressant sur plusieurs commentaires que j’ai reçus à propos de mon récent roman « australien », Le chant des galahs.

 

Des lecteurs qui me remercient pour ce voyage auquel je les ai invités et ont (je promets que c’est eux qui le disent) aimé ce récit, mais qui ont aussi précisé que l’Australie décrite dans le livre leur a fait un peu peur, les a « inquiétés » ; leur a paru dure et inhospitalière.

Il se pourrait, par conséquent, que ma « satisfaction béate » devant la nature profonde australienne n’ait pas trop transpiré dans mon écriture ni altéré l’image que chacun peut se faire de ce pays. 

 

Je garderai en tête, quoi qu’il soit, que pour Simon Leys comme pour moi : « le visage de l’Australie est celui que présentait la Terre avant l’apparition de l’homme, et c’est aussi celui que retrouvera la Terre quand l’homme aura disparu. »

Publié le 20/09/2020
Conférence sur la Grande Muraille

Bonne nouvelle pour ceux que le sujet intéresse, et bien sûr pour moi : ma conférence du 10 novembre à St Brieuc est (pour l'instant) maintenue

Dans le cadre du cycle "Chemins entre Chine et Occident", nous traiterons cette fois de la Grande Muraille, en dressant un état des lieux de nos connaissances et des découvertes les plus récentes la concernant.

Ce sera aussi l'occasion de tenter ensemble de résoudre un Quizz de 12 énigmes subsistant à son sujet.

 

Malgré tout, cela reste un mince espoir, compte tenu de l'évolution actuelle de la pandémie Covid 19. Aussi, pour être certain de ne pas vous déplacer inutilement, mieux vaut vous renseigner au préalable à l'adresse suivante :

 

Contact : cheminsetcultures@yahoo.fr

Publié le 18/09/2020
Possible conflit armé entre la Chine et les USA ?

Interrogé par un lecteur sur la question d’un possible conflit, initié en Mer de Chine méridionale, entre les USA et la Chine, j’ai tenté de lui adresser une réponse synthétique mais qui reste forcément non exhaustive, vu que je ne possède pas, hélas, de boule de cristal.

 

J’ai choisi de partager cette réponse avec tous ceux qui visitent ces pages.

 

Il est clair, et cela légitime la question, que la tension dans cette partie du monde est montée de plusieurs crans au cours des dix dernières années, au risque même de déclencher un conflit mondial.

Cela me renvoie d’ailleurs à mon dernier séjour à Shanghai, où le couple de Chinois qui me logeait avait pour habitude d’allumer sa télé dès le moment du petit-déjeuner, laissant les infos matinales se dérouler en boucle. Une bonne partie de ces news traitait des démonstrations de force et des provocations récurrentes entre navires chinois, vietnamiens, japonais, américains… qu’ils soient civils (bateaux de pêche) ou militaires. Au bout de quelques jours, j’ai vu l’inquiétude m’envahir tant ces images étaient toutes de violence à peine contenue. Le ton de voix « patriotique », souvent criard, des commentateurs se félicitant de la « bravoure » de leurs marins et fustigeant les « bandits étrangers » y contribua sans doute un peu. Aucun espoir d’une analyse très objective à attendre de leur part, pas plus que sur les chaînes japonaises ou américaines, Fox News en tête.

 

Alors, à quoi devons-nous cette tension dramatique qu’il est impossible de ne pas prendre au sérieux ?

Au plan de la Chine elle-même, plusieurs raisons s’imposent :

  • L’immense territoire abritant 1.4 milliards d’habitants est de plus en plus soucieux de la sécurité de ceux-ci. Sécurité alimentaire, énergétique, mais aussi commerciale, environnementale et y compris physique, avec le terrorisme et la piraterie.
  • Bien décidée à assurer cette sécurité et son développement, la Chine met tout en œuvre pour échapper à l’endiguement que lui imposent les USA et leurs alliés locaux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mac Arthur prenait alors les rênes du Japon (l’ennemi vaincu), et l’état-major américain aurait probablement aimé en faire autant avec la Chine, « bastion du communisme ». D’où la présence de la 7ème flotte américaine, placée là comme « gendarme » de la région depuis plus de 70 ans.
  • Mais la Chine entend bien faire de la mer (et de sa marine) une voie majeure d’approvisionnement et d’échanges avec le reste du monde ; restaurer la Route maritime des Épices qu’elle avait ouverte bien avant les Occidentaux, au tout début du 15ème siècle. C’est pourquoi elle n’hésite plus à déployer ses navires de guerre au large, chargés à leur tour d’assurer la libre circulation de sa marine commerciale (transports et halieutique).
  • Les investissements considérables et les progrès réalisés par la Chine pour ses deux marines (commerciale et militaire) ont clairement pour but de soutenir cette nouvelle stratégie. Il n’est donc plus rare de voir des bateaux de pêche chinois pénétrer dans des zones contestées telles les îles Diaoyu (Senkaku pour les Japonais), les Paracels, les Spratleys… parfois des navires de recherches et de prospection en gaz ou en pétrole… accompagnés de bâtiments militaires. Sans compter la construction d’infrastructures, comme des polders, des radars ou même des terrains d’aviation. Autant de « provocations » pour ses voisins que sont le Vietnam, la Malaisie, les Philippines ou l’État du Brunei.
  • Désormais, la marine chinoise développe sa présence bien au-delà de la région : du Pacifique à l’Atlantique, en passant par l’océan Indien, la Méditerranée et même en Baltique.
  • Enfin, son lourd appétit sur le plan commercial ne lui vaut pas que des amis. Nombre de pays n’hésitent plus à parler « d’hégémonie commerciale ». Le talent indéniable de la Chine en cette matière lui a permis de reconquérir la place qu’elle tenait déjà au plan mondial, avant que l’Occident et le Japon ne viennent la piller (épisodes dits des Guerres de l’opium et des Traités inégaux qui en ont découlé). Beaucoup estiment qu’elle est, depuis 2014, redevenue la première puissance mondiale, au moins selon plusieurs critères, non sur tous.

Ce simple résumé, concernant les positions de la Chine, apporte déjà une réponse à la question de savoir si une guerre est possible au plan mondial. La réponse est oui : une guerre commerciale, et elle est déjà largement commencée !

 

Mais quid d’un conflit armé ?

 

Nombre de commentateurs ces derniers mois reprennent volontiers la théorie développée par l’auteur Graham Allison. Pour justifier l’idée selon laquelle la réussite commerciale chinoise devrait probablement aboutir à un conflit armé avec les USA, l’analyste américain invoque le Piège de Thucydide. Il fait ainsi référence au conflit qui opposa Athènes à Sparte, dû au refus de cette dernière de perdre son hégémonie face à une Athènes en pleine expansion.

À l’image de Sparte, les USA sont résolus à conserver leur (discutable) place de 1ère puissance économique et celle (avérée) de 1ère puissance militaire.

 

La tentation pourrait être grande pour les Américains de profiter, tant que cela est encore possible, de l’écart qui demeure sur le plan militaire entre eux et la Chine. Car, y compris près de ses côtes, et malgré ses efforts, ses lourds investissements, ses progrès fulgurants, la Chine n’est toujours pas « Maître en sa demeure », en particulier en ce qui concerne sa flotte militaire.

 

En outre, les USA savent pouvoir compter sur ses alliés de la puissante "Alliance des Five Eyes" : (USA), Angleterre, Australie, Nouvelle-Zélande, Canada, très marquée « antichinoise ».

Mieux vaudrait en effet, pour ceux-ci, échapper à un autre piège, celui connu par les armées allemandes contre la Russie lors de la Seconde Guerre mondiale. Indépendamment de l’environnement, un autre facteur déterminant a joué en faveur des Russes : le fait que les Allemands aient sous-estimé la puissance industrielle soviétique et sa capacité à rattraper son retard et même dépasser son ennemi en un temps record ! Il est indubitable que la Chine dispose de cette même capacité à dépasser tous les records, surtout lorsque la situation l’exige.

 

Il peut être intéressant aussi de se poser la question de l’Europe (hors Royaume-Uni, cela va de soi). Quel camp celle-ci pourrait-elle choisir face à ce conflit militaire potentiel entre les deux premières puissances mondiales ?

Les prises de position récentes de l’UE en rapport avec la guerre économique dans laquelle sont plongés les trois grands blocs, et en particulier les conflits de plus en plus nombreux qui opposent la Chine et les « Five Eyes » (5G, affaire Huawei, droits douaniers, accusations réciproques d’espionnage, accusations liées à la Covid 19, etc.) nous donne quelques éléments de réponse, sinon une certitude.

 

L’Europe a été habituée aux lourds investissements que la Chine a réalisés sur son territoire depuis 2008 et jusque récemment (ceux-ci ont sensiblement été réduits depuis 2016). L’inquiétude provoquée, souvent de façon irrationnelle, ainsi que les cas de conséquences économiques et sociales (réellement) dommageables, ont été largement repris par la presse et commentés auprès de l’opinion publique. En peu de temps, la Chine est devenue un « danger », quand ce n’est pas un « ennemi à abattre ». Mettant ainsi en évidence qu’au jeu désormais nécessaire du Soft Power, l’Empire du Milieu n’a pas su égaler les USA. Quoi que fassent ces derniers contre l’Europe, ils restent les « alliés de cœur ». La Chine, malgré de sincères efforts, n’a pu en faire autant. Ses investissements sont vus comme une volonté d’asservir l’Europe par la dette, capter des savoir-faire, et favoriser une sortie des capitaux de Chine, lui permettant à terme d’imposer sa monnaie contre le dollar. Dès lors, l’endiguement de la Chine apparaît désormais aux yeux de divers pays de l’UE comme une priorité stratégique. La différence avec les USA est que, contrairement à Trump et à ses conseillers, ouvertement décidés à en découdre militairement, l’UE garde espoir de maintenir le dialogue pour éviter le pire.

Étrange retour vers une histoire pas si ancienne.

Publié le 18/09/2020

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